Quand des manufacturiers présentent des nouveautés qui s’attaquent au plus vendeur des créneaux de pneus, on en attend des performances à la hauteur des technologies mises en œuvre. Michelin et Continental nous proposent donc deux enveloppes de haut niveau dotées d’une personnalité propre.
Notre révélateur? Une Honda CBR1000F de… 1987. Outre la valeur sentimentale accordée à cette bécane qui fut ma première moto d’essai en tant que journaliste, ce choix n’est pas si atypique qu’il y paraît. D’une part parce que les anciennes ont la cote et qu’il est bon de pouvoir les équiper de ce qui se fait de mieux aujourd’hui sans les cantonner aux boudins d’antan. D’autre part parce qu’avec 135cv pour 222kg et un couple important de 108Nm, sa mécanique se compare toujours aux moulins actuels. Enfin, ne mésestimons pas que cette CBR fut un des fleurons de la catégorie Sport-GT et donc une machine entièrement vouée à l’usage Sport-Touring ciblé par nos boudins du jour. CQFD !
Préliminaires
A priori, on se dit que le Road 6 (appelons le R6) a un avantage technique sur le ContiRoadAttack 4 (CRA4, c’est plus simple) parce que Michelin nous propose un pneu bigomme tandis que Continental se contente d’une seule gomme. En réalité, il n’en est rien parce que le constructeur allemand utilise un processus de vulcanisation spécifique qui permet, grâce à des « cuissons » différentes dans les moules, de durcir davantage la bande de roulement centrale que l’épaule du pneu. Cette précision apportée, voyons un peu comment nos boudins radiaux, tous deux dotés d’une ceinture acier à 0° pour plus de stabilité, tiennent leurs promesses technologiques.
Technologies mises à l’épreuve
ContiRoadAttack 4
Chez Continental, numéro 4 mondial des manufacturiers, on nous affirme que le CRA4 a les qualités qu’il faut pour définir carrément un nouveau créneau, baptisé Hyper-Touring par ses concepteurs allemands. Ah oui Continental, c’est 100% made in Germany, autant le savoir. « Hyper-Touring » voudrait dire que le CRA4 mêle les qualités d’un pneu touring (longévité, confort, tenue sur le mouillé) à celles d’un pneu supersport (stabilité au freinage, adhérence en courbe). En gros, on peut déjà vous dire que c’est une promesse tenue. Il faut dire que le CRA a une histoire qui remonte à 2005 et que les Allemands ne manquent donc pas d’expérience. Voyons ça de plus près…
TractionSkin
Le nouveau revêtement du moule utilisé pour les CRA4 rend inutile l’usage de produits de démoulage comme la paraffine. Un CRA4 tout neuf n’est donc pas luisant mais offre au contraire une microrugosité qui optimise d’emblée l’adhérence et n’impose plus de rodage. Et en effet, au sortir de l’atelier, nous nous sommes permis quelques accélérations franches ainsi qu’une prise d’angle prononcée sur un giratoire, et ce fut sans aucune réaction douteuse, même sur une zone humide.
Bilan : 100% vrai.
MultiGrip
C’est ici qu’on reparle de cette vulcanisation duale permettant de durcir davantage la bande centrale que l’épaule du pneu. De fait, l’adhérence sur l’angle a donné entière satisfaction sur notre CBR qui permet toujours une attaque franche, là où la maréchaussée nous laisse en paix. Une escapade sur circuit n’est certainement pas à proscrire ; on ira moins loin que sur un pneu ultra-sportif, mais on s’y amusera en sécurité. Et en termes de longévité prévisible, nos chiffres d’usure ont montré que le CRA4 faisait (au moins) jeu égal avec le Michelin. L’appellation Hyper-Touring n’est donc pas un simple leurre commercial.
Bilan : 90% vrai.
RainGrip
Le CRA4 embarque une plus forte teneur en silice que ses trois prédécesseurs de manière à augmenter l’adhérence sur les surfaces mouillées ou glissantes. Et le pneu allemand s’avère sécurisant sous la pluie, briguant une place parmi les meilleurs. Il est toutefois surclassé par le R6 qui met tout le monde d’accord dans cet exercice puisqu’il présente une enveloppe dotée de 100% de silice tandis que ses fameuses lamelles expulsent aussi très bien l’eau lorsque l’on est sur l’angle. D’autre part, pour avoir longtemps roulé en CRA2, j’ai pu constater que ce dernier tenait déjà plutôt bien sur le mouillé. Le CRA4 fait mieux sans révolutionner la famille.
Bilan : 75% vrai.
EasyHandling
Il s’agit ici de rendre prévisible le comportement du pneu lorsque les forces gyroscopiques ne peuvent assurer à elles seules une adhérence optimale, ça veut dire sur l’angle, dans les épingles ou dans les pifs-pafs. En pratique, les ingénieurs allemands (ils sont près de 1000 dans l’usine de Korbach !) ont spécialement conçu les contours des pneus avant et arrière pour qu’ils restent très neutres quand les lois de la physique ne peuvent plus garantir l’adhérence. En termes de neutralité et de naturel, le Michelin R6 est franchement pas mal, mais le CRA4 est supérieur et, pour ce qui est du handling, nous préférons effectivement notre CBR montée en CRA4 qu’en R6.
Bilan : 100% vrai.
GripLimitFeedback
C’est un dispositif destiné à améliorer le retour d’informations à l’attention du pilote lorsqu’il s’approche de l’angle maximal. Pour y arriver, Continental a augmenté l’espacement des câbles en acier de la carcasse sur les derniers millimètres des épaules. Est-ce sensible au guidon ? Oui, mais avec un effet secondaire : lorsque vous atteignez la zone où les câbles s’écartent davantage, vous ressentez aussi une légère imprécision sur la trajectoire. Alors certes, vous savez qu’il ne faut pas aller plus loin, mais ça vous oblige à corriger votre trajectoire et ça nuit légèrement à la précision.
Bilan : 70% vrai.
Pertinence totale des technologies Continental : 87%
Road 6
Du côté de Clermont-Ferrand, on entend bien rappeler à la concurrence qu’on est le numéro 1 mondial. Un des moyens pour y parvenir est d’intensifier la cadence de sortie de ses nouveautés et de faire évoluer rapidement leur technologie ou encore de multiplier les dimensions disponibles (5 pour le CRA4 contre… 19 pour le R6 !) On était donc passé du Pilot Road 4 au Road 5 en 2018 et, paradoxalement, alors que le pneu avait perdu son appellation Pilot, le 5 s’avérait plus sportif que le 4. Dans une trajectoire parallèle à l’orientation Hyper-Touring de Continental, le Road 6 confirme cette tendance plus sportive instaurée par le 5.
Water EverGrip
Le Michelin, c’est un look qui n’appartient qu’à lui et qu’on a toujours trouvé réussi avec ses puits et ses lamelles distinctives. Pour ses quatre premières générations, on a souvent reproché au Pilot Road de perdre de sa superbe à mesure qu’il s’usait parce qu’il évacuait moins bien l’eau ; le R5 avait progressé sur ce point mais sans être irréprochable. C’est pourquoi sur le R6, les lamelles s’ouvrent davantage quand l‘enveloppe s’use pour continuer à assurer une évacuation égale de l’eau. En outre, l’angle d’attaque des rainures et des lamelles dans l’enveloppe a été modifié pour mieux fendre l'eau présente en surface de la chaussée. C’est un fait : aucun autre pneu ne procure autant de confiance sur les surfaces potentiellement glissantes et ce, quelle que soit la température ambiante. Pour vous donner une idée, je me plais à rappeler cet exemple : sur une Hayabusa 2010 montée en PR3, je ne prenais plus la peine de changer de cartographie et d’activer le mode Rain lorsqu’il pleuvait à verse car les Michelin s’occupaient de tout. Et le R6 a forcément progressé depuis puisque son taux d’entaillement est plus important.
Bilan : 100% vrai.
Silica Technology
Le mélange 100% silice retenu pour la gomme du R6 est censé améliorer l'adhérence par temps froid et sur route humide ou mouillée sans nuire à la durée de vie des pneus. Alors, nous y souscrivons totalement en termes d’adhérence, mais nous sommes nettement plus réticents s’agissant de longévité des R6 car nos relevés d’usure sont clairs : le R6 s’use plus vite que le R5 dont nous disposions sur la tonitruante MV Agusta Turismo Veloce souvent conduite tambour battant. Tout est affaire de compromis, le R6 s’use sans perdre ses qualités, mais il s’use plus vite que ses prédécesseurs, et c’est assez compréhensible puisque la silice fait chauffer davantage les enveloppes.
Bilan : 75% vrai.
2 CT+ (Two Compounds Technology)
On connaît le principe du pneu bigomme selon Bibendum : plus ferme, le mélange du composé central de la bande de roulement s’étend jusque sous les bords. Avec ses 100% de silice, il assure longévité ainsi que rigidité dans les virages. Les épaulements sont quant à eux plus tendres pour une meilleure adhérence en courbe. Michelin annonce ainsi une longévité supérieure de 10% par rapport au Road 5, et nous savons déjà que ce n’est pas le cas. Par contre, le R6 applique le 2 CT au pneu avant également, de manière à accentuer la confiance en virage et la stabilité au freinage. Sur ces deux derniers points nous sommes réticents. En consultant les forums, vous verrez que certains utilisateurs du R6 se plaignent d’un pneu avant qui « tombe » dans les virages et c’est également notre cas. Le profil ogival très marqué du R6 fait « tomber » toute seule la CBR en courbe, et c’est à ce point que cela relève davantage du défaut que de la qualité. Bien entendu, on s’y habitue et on peut même s’en amuser quand on a suffisamment de bouteille, mais ce n’est pas le cas de tout le monde...
Bilan : 60% vrai.
Aramid Shield et ACT (Adaptative Casing Technology)
Sous le composé 2 CT+, Michelin ajoute une nappe en aramide, des polymères thermoplastiques présentant une excellente résistance à la traction, à la chaleur et à la rupture. Cet Aramid Shield permet au pneu de mieux résister à la force centrifuge et aux contraintes diverses de manière à améliorer la stabilité. Plus en profondeur intervient l’ACT, un croisement finement étudié des fils de la carcasse qui va rigidifier davantage les flancs du pneu quand ils sont contraints par la conduite en virage, de manière à optimiser les sensations du pilote sur l’angle. Effectivement, la stabilité du R6 est tout à fait satisfaisante mais, on l’a vu, les sensations sur l’angle ne sont pas toujours naturelles.
Bilan : 85% vrai.
Pertinence totale des technologies Michelin : 80%
Verdict
Des pneus qui atteignent 80% des allégations de leur argumentaire commercial sont forcément de (très) bons choix dans leur créneau. Bien que les prestations du Michelin R6 sous la pluie soient ce qui se fait de mieux, notre vainqueur moral est le ContiRoadAttack 4 parce qu’il rend le pilotage de notre CBR plus naturel et plus intuitif. Notons que sa carcasse se révèle aussi légèrement plus confortable que celle du Michelin. S’agissant de montée en température, nos mesures apportent aussi leur pierre à l’édifice : le CRA4 chauffe plus vite que le R6 (+14° en 2km de route ; +8° pour le R6) mais sa température nominale de fonctionnement reste moindre (47° contre 53 pour le R6 après une douzaine de km). Cela pourrait expliquer pourquoi nos mesures d’usure donnent également un léger avantage au CRA4 . Enfin, ce dernier reste le moins cher des deux puisqu’une monte complète reste sous la barre des 300€, ce qui n’est pas le cas du Michelin.